Thibault et son compagnon de cordée, Julien, sont décédés lors de leur course de la Meije le 17 juin 2025 au niveau de l’arête des lève-tard, après leur nuit au refuge de la Selle. Les funérailles de Thibault ont eu lieu à Dijon le mardi 24 juin 2025. Ce texte est l'hommage que j'ai écrit et que j'ai lu lors de la cérémonie.

La première fois que j’ai vu Thibault, c’était en 2011. Il était à vélo, nous venions de faire une sortie Vel’UTC, le club de vélo de notre école d’ingé à Compiègne. J’ai d’ailleurs un souvenir particulièrement précis de la fin de cette sortie : il était complètement cramé, je sus plus tard ses problèmes de santé.
Le lien s’est établi ainsi. Ensuite, nous sommes partis le temps d’un week-end dans les Ardennes avec Joffrey, une autre fois nous avons fait un BRM (Brevet de randonneurs Mondiaux). Puis ça a été la traversée du Morvan en VTT.
En 2017 nous avons réalisé notre premier périple cyclopédique, de Bray-Dunes à Nice, La France du Nord au Sud. Quelques mois plus tard, je rencontrais Fabien et une bande de joyeux lurons, nous avions pédalé d’Aurillac à Clermont-Ferrand. Depuis cette date, tous les ans, au gré de nos envies, nous pédalions une semaine à travers la France et parfois un peu plus loin.
En 2019, la diagonale du vide, Paris -> Dieppe -> Lille
En 2020, AVJAN
En 2021, les Pyrénées et le Ventoux
En 2022, la traversée des Alpes, les 7 majeurs … presque
En 2023, Balade Bourguignonne
En 2024, le tour du jardin
En 2025, les 100M test du Massif central.
De tous ces périples, il reste des récits, dont certains sont sur ce blog, des dizaines de photos et des souvenirs.
Thibault était depuis quelques mois en réflexion sur la suite de sa vie professionnelle. Le sport y avait pris une place importante. Le projet des 100 M est apparu dans ce cadre-là.
Le sport a été pour nous une merveilleuse porte d’accès à nos intimités.
Car nous pratiquions le sport avec la même philosophie. Philosophie à laquelle nous avions donné un nom : la philosophie de l’Esprit Camino. Nom tiré du modèle de son vélo, Sonder Camino
Les 100 M, ça sonne comme un truc ronflant, ça serait bien mal connaitre Thibault que de partir sur cette voie-là.
Alors oui, c’est du lourd, c’est surtout empreint de notre philosophie. Le plaisir avant tout mais saupoudré de sobriété, de prudence et de finesse, quoique, pour la finesse, on n’a pas toujours été très bon !
L’Esprit Camino ne connait pas le temps, la vitesse moyenne, les KOM, la VAP, la VO² Max, les kilomètres, le dénivelé ou les conditions météo. Il connait l’instant présent et la beauté.
L’Esprit Camino c’est ça et ça restera ma façon de pratiquer le sport et de vivre la vie.
Il faut pédaler sous la pluie.
Les semaines que nous avons partagées sur le vélo toutes ces dernières années ont été un accès à nos intimités, nous nous sommes livrés, nous nous sommes questionnés, nous nous sommes répondus sincèrement, honnêtement. L’Esprit Camino, c’est aussi accepter ses failles et les partager.
Ces dernières années, nos chemins se sont liés encore plus fortement.
Avril 2022, Thibault et Céline viennent nous voir à Lille, on se découvre autrement.
Automne 2023, avec Céline, Thibault quitte Paris pour un coin plus au vert, plus au Sud. Dans le même mois, avec Mélanie, ma compagne, je quitte Lille pour un coin plus au vert, plus au Nord.
Novembre 2024, je fais une rupture conventionnelle avec mon employeur, j’écris à Thibault pour lui annoncer, il me répond qu’il a fait la même chose une semaine avant.
Thibault c’était l’homme d’une fidélité indéfectible, d’une grande sensibilité souvent voilé par sa pudeur. Thibault c’était aussi la prudence, plus prudent que moi dans une descente de col.
Je n’ai jamais réussi à l’embarquer pour dormir chez l’habitant. La crainte de déranger. Appréhender et domestiquer notre sensibilité est un long chemin. Dans nos aventures, Thibault a toujours préféré le confort d’un camping, même rustique plutôt que d’un bivouac, encore plus rustique. Nous avions acquis une bonne connaissance des campings, avec une large préférence pour les campings municipaux. Nous avons eu des belles surprises et évidemment des déceptions, sur la température des douches et l’état du terrain, entre autres.
L’Esprit Camino, c’est faire avec ce que l’on trouve, et des boulangeries, nous en avons trouvées un nombre certain sur notre chemin. Il a même dû nous arriver de réaliser le chiffre d’affaires d’une boulangerie à nous tout seul de bon matin, tout y passait : des parts de pizza, de quiche, des croissants, des pains aux chocolats, ou des chocolatines, pains aux raisins, tartelettes aux fruits, aux noix, chaussons aux pommes, et aussi des spécialités régionales et des cafés, des cocas, des bonjours et des mercis entrecoupés de s’il vous plaît.
Les boulangeries c’est aussi l’occasion de remplir les bidons.
Car oui, les cyclistes en itinérance ont soif ; et un autre lieu privilégié pour avoir de l’eau, ce sont les cimetières, il y a presque toujours un point d’eau potable pour arroser les fleurs et recharger les bidons de cyclistes assoiffés.
Les morts ont toujours soif pour rester présent.
Camping, boulangerie, cimetière sont des lieux où quoiqu’il se passe, l’Esprit Camino souffle. Dans ces endroits, j’aurai pour toujours une pensée pour Thibault, avec un souvenir, une anecdote qui remontera à la surface et me fera sourire.
Cette année, il y a eu de l’incertitude dans la possibilité de notre périple. J’ai laissé planer un doute, je n’étais pas au clair avec mes envies et mes besoins, malgré l’envie irrépressible d’aller repartir à l’aventure avec Thibault. C’est lors d’un coup de fil, le 12 mars qu’il me parle des 100M.
Les 100M.
Atteindre le point culminant de tous les massifs français dans un temps continu.
Il avait découvert que tous les géographes ne sont pas d’accord sur la définition d’un massif. Au départ, il est parti la bouche en cœur : Alpes, Pyrénées, Massif central, Vosges, Jura, Corse. Finalement après quelques recherches, il affine : Bauge, Pilat, Cantalien, Ardéchois, Monts d’Arrée, montagne noire, Néouvielle, Carlit, de l’Abodi, Chartreuse, Aravis, Mont-blanc, Parpaillon, Vercors, Dévoluy, Baronnies, … Écrins …. La liste est longue, il était arrivé à 96, sur un malentendu géographique il s’est dit que ça pourrait être 100.
Les 100M pour les 100 Massifs.
D’ailleurs l’Esprit Camino n’est pas très regardant et il aime la poésie : Les 100 M c’est plus joli que les 96 M.
Nous avons posé nos roues dans une majorité de ces massifs au cours des dernières années.
Quelques semaines après ce coup de fil de mars, le souffle de l’Esprit Camino m’a parcouru. Mes envies et besoins se sont éclairés et nous avons bloqué une date, je lui ai laissé libre choix de l’aventure. Moi ce dont j’avais envie, c’était de partager un bout d’aventure avec lui.
Thibault m’a transmis un parcours sur Komoot qu’il avait tracé un jour de télétravail. J’ai regardé, bricolé des jonctions en train pour le rejoindre, chez lui à Bourg-de-Péage. Nous avons réduit le kilométrage, enlevé quelques massifs. Finalement c’est un test des 100 M grandeurs nature. Enchaîner les liaisons vélo/trail, pour atteindre les points culminants de chaque massif que nous allions traverser.
Ce test et donc cette nouvelle aventure eu lieu en mai 2025 dans le Massif central.
11 sommets pour 11 massifs :
Mont Mézenc, Massif du Mézenc,
La Vesseyre, Massif du Devès,
Le Plomb du Cantal, Massif Cantalien,
Mont Bessou, Plateau de Millevaches,
Puy de Sancy, Massif des Monts Dore,
Puy de Dôme, Chaîne des Puys
Puy de Montoncel, Massif des bois noirs,
Pierre sur Haute, Monts du Forez,
La forêt des bois noirs, Monts du Livradois,
Crêt de la perdrix, Massif du Pilat,
Crêt Malherbe Monts du Lyonnais.
On l’a fait, sans tambour ni trompette, dans le plus pur Esprit Camino.
Pour les 100M, Thibault a revu ses calculs, enchaîner des journées d’une aussi grande intensité avec quelques heures de rando en plus tout en dormant en camping et en mangeant en boulangerie, ça tient quelques jours au plus. Les 100M c’était un projet ébauché sur plusieurs mois, pour dans quelques années, peut-être.
En discutant des massifs les plus ambitieux, j’ai eu une remarque sur les mille et un contretemps qui peuvent survenir. Thibault a répondu quelque chose qui a résonné en moi et qui résonne encore plus fort aujourd’hui. Il m’a dit que c’était l’intérêt de la préparation, se donner les grandes lignes, de calculer les marges de sécurité et que le reste c’était l’épaisseur du trait.
Ça sonne comme le glas ces mots maintenant, car, cette chute dans le massif des Écrins, elle s’écrit pareil, c’est l’épaisseur du trait, c’est presque physique.
Ça nous rappelle que l’accident se joue là, dans l’indicible épaisseur du trait. Ce trait qui permet de dessiner un contour mais dont on ne sait rien de ce qui se cache dans son épaisseur.
Cette course qu’il faisait, elle était dans cette envie de réaliser ce projet, sous la forme d’un autre test, de gagner de l’expérience en alpinisme mais toujours porté par le souffle de l’Esprit Camino.
Les 100M c’était le projet de Thibault.
Alors, non, je ne vais pas vous dire que je vais reprendre le flambeau, pour lui, pour moi… Je vais accepter que ça soit un projet inachevé.
En revanche, à chaque fois que je serai sur mon vélo, j’aurai une pensée profonde, pour lui, et pour chacun d’entre nous, pour ceux qui restent.
Merci Thibault pour le chemin parcouru à tes côtés.
Et que Vive le Souffle de l’Esprit Camino.

magnifique, texte pour ton copain de voyage
J’aimeAimé par 1 personne
Merci Maumau
J’aimeJ’aime
Une pensée pour toi, pour te soutenir dans ce deuil. Je te souhaite aussi plein de belles rencontres dans l’esprit camino
J’aimeJ’aime