The North Trail 1/2- explosion en 2020 …

Temps de lecture estimé 20 minutes Merci à Joffrey FOXx 🦊 pour l’élan de motivation à écrire ce récit !

La philosophie

Le vélo est une aventure.
Depuis quelques années, j’ai découvert le vélo d’aventure, le vélo qui émancipe du quotidien, le bikepacking, l’autonomie. J’ai appris à identifier mes sensations physiques, à écouter mon vélo. Ce vélo avec lequel je partage du temps, de l’effort, de la sueur et de l’huile.

Je fais du vélo pour prendre du plaisir, pour méditer. Un effort pour étirer mon esprit, pour échauffer mes réflexions. L’inconscient se détend, sort de sa turpitude, se dé-focalise. Le conscient s’intéresse à l’instant, ne laissant plus la place à la mentalisation. Tout s’évanouit.

La TNT est née de l’esprit de Rémi Lequint.
Quelque chose de simple.
Proposer un parcours de 750 km à travers la métropole de Lille, le Hainaut, l’Avesnois, l’Artois, le Boulonnais, l’Audomarois.

Une ligne qui forme une boucle sur une carte des Hauts de France, un territoire à découvrir, à explorer. Pas de formalité, pas d’administration. Un partage, une diffusion de l’information et roulez jeunesse ! Chacun peut partir ou ça l’arrange, quand il le souhaite, dans les conditions qui lui conviennent, tout seul, à deux, en groupe, en troupeau. Le périple peut prendre 2 jours ou 1 semaine …

Rémi Quinquin a réaliser se tracé en 2019-2020, il propose une date officieuse pour parcourir la trace ; histoire d’avoir un élan de motivation groupé et de potentiellement se sentir moins seul a galérer après avoir passé une sale nuit sous tente au milieu d’une forêt. Cette date c’est le week end de l’ascension. Cela offre 4 jours, à raison de 180 km par jours c’est tenable.

Tenable pour une communauté de cycliste aguerrie des Hauts de France et d’ailleurs.

Il est à noter qu’il s’agit d’un parcours mixte : route secondaire, piste cyclable, chemin pavé, chemin boueux, chemin pierreux, chemin cheminant, chemin montant, chemin descendant, chemin déversant… il y a autant d’adjectif que de chemin.

Pas grand chose à voir avec une étape de plaine du Tour de France en somme.

Et puis on parle d’autonomie: tu crèves, tu répares ; tu casses un rayon, tu roules encore ; tu casses ta chaîne, tu roules en singlespeed (ou l’art de rouler avec une seule vitesse) ; tu as une petite faim, tu lances le détecteur de boulangerie, tu as envie de dormir, tu lances ta tente. L’aventure dans toute sa splendeur (avec sa carte bleue quand même).

pour nous ça ressemble plutôt à cette photo : un coureur réparant sa roue sur le premier tour de France en 1903

En 2020, on était en plein déconfinement, le premier déconfinement, depuis nous avons été reconfiné, puis re déconfiné, puis nous avons eu droit à non pas un confinement mais à être confiné sans être enfermé ….. Bref de l’eau à coulé sous les ponts.

Il y avait une limite de 100km. De ce côté là, le parcours était presque parfait, en habitant Lille je devenais réfractaire le long de la côte sur environ 30 km, pas grand chose pour une vie en absurdie.

Question entraînement je roulais pendant une heure dans un rayon d’un kilomètre, évidemment il y a eu quelques petites entorses, un joli parcours en dehors des sentiers battus autour de l’aéroport de Lille-Lesquin notamment.

ma philosophie pour ce genre de « périple » c’est de partir en connaissant mon état physique et mental et l’état mécanique de mon vélo. Pour connaître l’état physique et mental faut rouler quelques kilomètres sous différentes conditions climatiques. Je suis vite fixé, j’ai la motivation après ces mois de confinement mais les jambes ont perdu du muscle, le cœur n’est plus aussi vif dans son battement, mais surtout il est un peu plus lent à redescendre après un effort.

Cette aventure va se jouer sur le sommeil et la nourriture ! le vélo est en bonne état, je ne pars pas avec du tout neuf, mais avec du matériel qui tourne rond et qui est bien réglé. Mise à part la chape de dérailleur un peu courte qui ne peut pas monter sur les 3 derniers pignons, une broutille quoi !

J’ai de quoi réparer le minimum vital : pneu, chaîne, frein.

J’ai prévu de partir seul puis je me suis laissé tenter par le départ groupé, rendez vous informel à la citadelle de Lille, rendez vous à 8 heure.

J’ai préparé mes petites affaires, mon sac de couchage, mon matelas, mon portable, mes clefs, ma brosse à dent, le dentifrice, le masque, les clefs, le kit de réparation, les bidons d’eau, de la nourriture, le rouleau de papier toilette. Pas de tente, je trouverai bien un abri sur la route, la météo s’annonce clémente.

La carte du jour 1

l’heure est venue, je rejoins la citadelle, je tourne un peu, je ne trouve pas de cycliste, je n’attends plus, je ne suis peut-être pas au bon endroit. Je crois que je voulais y aller seul, je ne suis pas très bon pour ces départs groupés, je me sens vite isolé, je n’ai pas la pleine envie de partage.

Il fait beau, toute la journée le soleil va rayonner sur ma peau. Dès cette première journée, j’entame beaucoup trop mon mental ; je vais prendre un méchant coup de soleil sur les cuisses, je vais pédaler fort et longtemps. Néanmoins je vais découvrir un superbe parcours.

De Lille, je rejoins le bois du parc de la Deule, je croise deux participants sur un pont, on s’échange un simple bonjour et on s’assure que nous participons au même évènement.
Puis direction Merville, Saint-Omer, un beau chemin avec des chardons de 2 mètres pour rallier Watten. Le terrain est beaucoup plus accidenté dans ce coin. la campagne est magnifique, je rencontre Sébastien en pleine pause près de la chapelle Notre dame des trois Cayelles, je me souviens précisément du panorama à la sortie de cette forêt sur toute la campagne environnante jusque sur la côte, en distinguant Calais. Un relief enivrant sous un soleil éclatant.

Nous roulons quelques kilomètres avec Sébastien, puis le rythme de chacun reprenant le dessus, nos silhouette s’étire sur le parcours.

Le point culminant de cette journée, est le mont du couple à 163 mètres, les premières dizaines de mètres de la descente sont techniques, des cailloux et des promeneurs. Le sommet nous offre la vue sur le cap griz nez, la côte venteuse du Nord !

Wissant , Wimereux, de jolie station balnéaire, un petit clin d’oeil :

Le parcours descend plein sud en longeant la côte maintenant, l’après midi est bien entamé. J’arrive à Boulogne sur Mer, après avoir découvert la colonne de la grande armée, reste de la gloire Napoléonienne. Et puis je suis au pied du raidar de Saint-Etienne-au-Mont, la pente est sévère et interminable, je pose le pied à terre, c’est rare que ça m’arrive, je me fais la promesse d’y revenir et de la monter !

une idée du pourcentage de la pente ?

Neuchatel-Hardelot, c’est le coin huppé, les grosses maisons, les grosses voitures, les belles pistes cyclables. Puis je quitte le clinquant de la côte, pour retourner dans les terres, une belle pause quelques kilomètres avant Montreuil sur mer, un joli coin de verdure, une belle table de pique nique une belle fin de journée, quelques tergiversation, faut-il s’arrêter maintenant ou continuer encore un peu ? j’aime rouler tout le jour, et dormir toute la nuit, le plus facile dans ces journées c’est de pédaler, j’ai encore 2 belles heures d’éclairage naturel. J’aime ce moment de la journée, l’être humain retourne dans son foyer, la flore assimile le soleil de la journée, la faune est plus bruyante, pendant que certains être prépare une nuit de sommeil, d’autres se préparent à se nourrir, à explorer, à vivre.

Je traverse Montreuil, puis je me mets en quête d’un abris, pas grand chose à me mettre sous la tête, j’ai déjà tenté ces expériences avec succès, sur la Baroudeuse, puis sur la Gravel Tro Breizh, mes exigences sont élevés, se protéger de la pluie, du vent, un minimum de confort. le soleil décline, je pédale en me marrant en passant à Marrant. C’est à Saint-Denoeux que je trouve un hangar, pas de voiture, pas de lumière, je m’installe. Je ne suis pas mal du tout, un peu de paille dans le fond du hangar. Je pose le matelas, enlève mon cuissard et mon maillot, enfile mes vêtements de nuit et me glisse dans le drap de soie et le sac de couchage. Les cuisses en feu, beaucoup plus à l’extérieur qu’à l’intérieur, les frottements sont un supplices !

Une idée de cette première journée qui fera 253 km.

Le second jour

Objectif crème solaire/ biafine (c’est trop tard mais sauvons les cuisses en feu !), tout ce qu’il faut pour apaiser ses coups de soleil, et boire de l’eau, encore et encore. Le point critique c’est l’eau. Ne jamais avoir soif, surtout toujours avoir de l’eau. Ne pas avoir à manger peut se gérer à minima, mais ne pas avoir d’eau, l’effondrement physique est d’une rapidité déconcertante, on perd la lucidité également. Choix des trajectoires moins judicieux, la fragilité sur le vélo est criante. Ne jamais hésiter à remplir une gourde.

Je trouve enfin une pharmacie ouverte à Saint Michel sur Ternoise, ça ne sera pas sans mal, je rencontre deux autres participants.

Parcourir cette partie des Hauts de France, c’est sentir la sueur de l’homme, du monde paysan, de l’agriculteur, de l’ouvrier, du mineur, de la souffrance quotidienne, de l’exploitation de la terre.

Je croise un participants belge avant d’arriver à Arras, nous rejoignons une boulangerie du centre ville ensemble, c’est un moment de partage revigorant.

les zones entre Arras et Denain sont densément peuplées et urbanisées, il faut passer le canal de l’Escaut pour retrouver une saveur campagnarde.

Je passe devant une sculpture de vélo à Mont Saint Éloi, je roule quelques centaines de mètres avec deux participants qui font le tour en binôme, l’un tire une remorque mono roue, il y transporte son matériel médical pour son diabète, je trouve ça fantastique comme solution.

sculpture de vélo au Mont Saint Éloi

La pluie s’invite sur la fin de journée, au Quesnoy je sens mon énergie se disperser, mon esprit n’a plus envie de rouler, je reprends un semblant de force avec une frite. Je n’oublie pas qu’avancer reste la meilleure solution dans ces moments là. La réaction du corps au coup de soleil est éreintante.

Le mental s’est effondré avec la pluie, c’est le retour dans une campagne vallonnée qui me redonne un élan de motivation. Je traverse la forêt de Mormal, un évènement intense. le jour passe et la nuit s’éveille, je finis ma journée à la frontale pour trouver un abris bus à Rainsars, un chien viendra pendant une demi heure aboyer pour défendre son territoire pour finalement se lasser et me laisser en paix avec mon sommeil.

La nuit finira de me fatiguer.

un peu froid, le choc des coups de soleil, toujours.

L’explosion

Je me réveille trop tôt, 4h30. c’est des moments difficiles, le plus sage est de tout ranger et de se mettre en mouvement. Le levé de soleil au Val Joly n’attend que moi. Je n’oublie pas que la fin du parcours n’a pas été reconnu sur le terrain par Rémi, je vais en faire les frais, je me retrouve à traverser un bois, à 5 heure de matin avec toute l’humidité des arbres qui me tombe dessus dès que j’effleure une branche. Un moment mémorable, je finis par être devant une barrière avec un panneau propriété privé, c’est la fin de mon calvaire, de l’autre côté une route !

C’est la dégringolade sur ce troisième jour. L’avesnois reste l’un des territoires que j’apprécie le plus, multitudes de parcelle, des haies, des regroupements d’arbres, des fermes, des hameaux, une foultitude de vallons, ces paysages offrent de beaux chemins et invitent à une exploration fine.

Mais mon esprit n’y est plus, j’ai envie d’être au chaud, d’en finir, ça devient trop long, mon corps est en train de me dire stop. Puis c’est le vélo qui avant d’arriver à Maubeuge m’offre une double crevaison sur mon pneu avant monté en tubeless Ready (montage sans chambre à air). Une vraie saloperie pour remettre une chambre à air, le liquide préventif est immonde à nettoyer, je démonte le pneu sous un pont pour m’abriter de la pluie, il est 8h35.

Je finis de réparer, il est 8h55. Je regarde sur mon téléphone le prochain train pour Lille. 9h10. Il est 9h00, coup d’adrénaline, focalisation sur les panneaux gare SNCF. Ils se sont tous volatilisés. Deux femmes à 200 mètres, pourriez-vous m’indiquer la gare SNCF … c’est de l’autre côté de la ville … alors le plus simple… merci je vais trouver … Il me faut juste une direction, les explications ça sera trop de communication incompréhensible … les locaux ont toujours une infinité de feu rouge, de point de repère, de nom de rue, de rond point, de gauche, de droite qui nous sont tout à fait étrangés !

Pas grand monde en ce samedi 23 mai dans les rues, j’arrive devant la gare, il est 9h08. Je fonce sur le quai, croise le contrôleur, lui parle de l’instant, que pour le billet je n’ai pas le temps, il me dit de monter dans le train, que nous verrons dans le wagon, je monte, je souffle, je suis vidé, éreinté, lessivé, je ne reverrai pas le contrôleur pendant le trajet.

le troisième jour 67 km + les quelques kilomètres pour lier la gare de Lille Flandres à mon appartement.

Voici une explication clinique de cette explosion :

Des journées de vélo trop longues au vue de mon entraînement, 253 km le premier jour, 273 km le second. Les coups de soleil du premier jour ont sérieusement entamé mes ressources physiques et mentales, des nuits de sommeil pas tout à fait récupératrice, un mental qui n’était pas prêt à affronter la pluie et mon corps qui n’avait pas la ressource suffisante pour ce réchauffer.

Évidemment c’est le mental plus que le physique qui a faibli. Sur le papier le physique y est pour 10%, le mental pour le reste. Un équilibre délicatement brutal.

En revanche, l’alimentation et hydratation sont deux paramètres que j’ai appris à beaucoup mieux maîtriser, je n’ai pas de vigilance de ce côté là. Je n’oublie plus de m’étirer sur le vélo, de changer ma position, de respirer profondément, d’être conscient de mon environnement, de regarder la faune, la flore, l’architecture, les champs, les pâtures, les gens.

Pour preuve que c’est le mental qui a failli, c’est que j’ai récupéré très vite de mon effort, c’est les coups de soleil qui ont été le plus dure.

Le mental c’est ce qui pousse à agir, les paramètres sont conscients et inconscients, ça passe par la prise de plaisir à faire du vélo, jusqu’à pourquoi je suis là ? Pourquoi je fais ça ? Est-ce que je fuis ? Est-ce que je mens ? Est-ce que je me mens ? De quoi j’ai besoin ? De quoi j’ai envie ? Comment puis-je mieux vivre mes contradictions ? Est-ce que je fais les bons choix ? Est-ce que ces choix vont dans la réduction de mes contradictions ? Est-ce que j’ai envie d’être heureux ? Est-ce que je sais ce que d’être heureux ? Ai-je envie d’être heureux ou d’avoir le bonheur ? Est-ce que ma vie à du sens ? Est-ce que la vie doit avoir du sens ? Qu’est ce qu’une vie qui a du sens ? …

Je me suis fais une promesse, je reviendrais, pour le plaisir de parcourir la terre à vélo, pour le plaisir de vaincre le raidar de Saint-Etienne-au-mont, pour le plaisir de se poser des questions qui n’attendent pas de réponse.

Je reviendrai,

et je suis revenu en 2021 !

Un avis sur “The North Trail 1/2- explosion en 2020 …

  1. Bonjour,
    Encore un beau périple
    Je peux t’envoyer une petite vidéo, de 1 minute, sympa qui pourrait te plaire.
    Dis moi via quel média je peux te l’envoyer ?

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